Belle Écume courait entre les arbustes, les buissons et les fourrés. Son ventre était maintenant gros et lourd. Il gênait la guerrière dans sa course. Celle-ci haletait et poussait des gémissements : dès la première douleur, elle s'était enfuie du camp et était allé au Demi-Pont le plus vite possible. Arrivée au lieu de rendez-vous habituel, la chatte rousse se coucha... Non : s'écroula ! Elle étouffa des cris en se tordant de douleur. Plume Rousse n'était pas là, et la femelle souffrait extrêmement. Elle appela, angoissée :

- Plume Rousse ! Plume Rousse !!!

La guerrière était trempée de transpiration et elle était prise de convulsions. Elle fermai les yeux tant la douleur la rongeait de l'intérieur. Elle miaula, presque à l'agonie :

- C'est l'heure !!!!!!

Plume Rousse cherchait son apprentie depuis plusieurs minutes, mais celle-ci était introuvable. Où peut-elle bien se cacher ? Le jeune guerrier plissa les yeux et poursuivit ses recherches en dehors du camp. Peut-être que Nuage de Rêve s'est accordée du temps libre sans m'en avoir parlé... Il allait falloir donner une bonne leçon à cette petite aventureuse lorsqu'il la retrouverait. Inconsciemment, il se dirigea vers la frontière qui le menait au Clan de la Rivière. Il dressa ses oreilles, à la recherche d'un quelconque bruit qui proviendrait de la novice. Cependant, ce ne fut pas la voix de Nuage de Rêve qu'il entendit au loin, mais celle d'une autre femelle... Le guerrier au pelage roux se figea. Belle Écume ! Il accéléra l'allure, soudain très inquiet pour sa compagne car il commençait à sentir une odeur de peur. Il remettait à plus tard la recherche de son apprentie, en priorité il devait rejoindre la femelle du Clan de la Rivière. Quand il arriva au Demi-Pont, il la vit. Elle était couchée et tremblait. Plume Rousse se rua auprès d'elle. Il lui chuchota à l'oreille pour la rassurer :

- C'est bon je suis là...

Visiblement, Belle Écume était sur le point de mettre bas. Le matou s'en réjouissait, mais en même temps voir sa compagne souffrir lui était douloureux. Il espérait de tout cœur que l'accouchement se passe sans encombre...

Plume Rousse s'inquiétait. Il n'avait jamais assisté à un accouchement avant celui-là et c'était... Plutôt impressionnant. Les cris de douleur que poussait Belle Écume lui étaient difficilement supportables, il avait terriblement peur pour elle. C'est alors qu'il sentit quelque chose au niveau de sa tête. Il la secoua et vit tomber au sol une pétale d'un magnifique rouge. Cela fit sourire Belle Écume, au grand bonheur du mâle au pelage roux. Cependant, ce bonheur fut de courte durée car la future mère était déjà en train de repousser des cris. Plume Rousse encourageait du mieux qu'il pouvait sa compagne à coups de langue. Une première boule de poils, qui était de couleur rousse, fit soudainement son apparition, suivit peu de temps après d'une seconde petite chose au pelage gris. Fort heureusement, les cris de Belle Écume cessèrent, ce qui rassura Plume Rousse. Il regarda avec amour ses deux petits et donna un coup de langue à sa compagne pour la féliciter. L'inquiétude s'effaçait petit à petit de son esprit, rien qu'en regardant les deux chatons.

Lorsque Belle Écume donna le nom du premier chaton, le guerrier du Clan de l'Ombre ne fit aucune objection. Patte Argentée, c'était un très joli nom ! A présent, c'était à lui de choisir le nom que porterait le second chaton. C'était la petite boule de poils rousse, et il savait déjà le nom qui lui conviendrait à merveille.

- Petit Coquelicot... Voilà un nom qui lui va à ravir, tu ne trouves pas ?

Le pétale rouge qui avait atterri sur sa tête tout à l'heure lui était soudainement revenu en mémoire, c'est pourquoi il avait choisi de donner le nom de la fleur à sa fille.

Belle Écume trouva le nom de Petit Coquelicot magnifique, elle savait pourquoi son compagnon l'avait choisi. Elle se réinstalla et regarda les deux femelles silencieusement puis elle sourit. Elle entreprenna de faire leur toilette et se tourna vers Plume Rousse, sa réponse un peu longue en attente :

- Je trouve que tu as vraiment bien choisi. Elle marqua une pause et sourit en regardant leurs chatons : Ils sont beaux, n'est-ce pas ?

Plume Rousse était bien d'accord, ces deux chatons étaient magnifiques. L'un argenté, l'autre roux. Cela donnait un joli mélange. Il miaula, malicieux :

- Elles sont très mignonnes toutes les deux. Et puis avec une mère telle que toi, ces deux petites ne pouvaient qu'être splendides !

Les deux yeux verts du chat au pelage embrasé fixaient avec amour ses filles. Incroyable, le jeune guerrier avait toujours un peu de mal à y croire, et pourtant c'était bien réel : il était devenu père ! Il aurait tant aimé pouvoir en parler à ses camarades, mais il savait pertinemment que c'était impossible. Ces petites ne devraient jamais être connues comme étant les filles de Plume Rousse, guerrier du Clan de l'Ombre. Non, pour tout le monde, leur père serait un guerrier du Clan de la Rivière. Bien que cela l'attriste, le matou savait qu'il n'avait pas d'autre choix que de mentir. Tant pis, l'important c'était que Belle Écume et lui sachent la vérité, le reste importait peu.
Il s'approcha lentement de sa compagne et lui dit :

- Tu dois être exténuée maintenant. Tu penses que tu pourras retourner à ton camp sans encombre ?

Bien évidemment, Plume Rousse n'avait pas du tout envie que Belle Écume retourne aussi vite auprès des siens, il voulait encore pouvoir rester à ses côtés plus longtemps et profiter de ses filles. Il savait cependant qu'à un moment, elle devrait rentrer avec les chatons. Et alors, il ne pourrait plus les voir avant plusieurs jours... La séparation allait être déchirante pour le jeune père, même si celle-ci n'était pas définitive.

La chatte rousse ronronna aux louanges de son compagnon. Elle lécha le front de chaque chaton et mit sa tête sur ses pattes. Elle réfléchit un moment. Elle était tellement contente d'être maman ! Les petites bouches des deux sœurs buvant le lait goulûment lui donnait du bôme au cœur. Sentir leur présence la rassurait autant que de sentir celle de Plume Rousse. La guerière aurait aimé que cet instant dure à jamais, que la famille soit réuni pour toujours... Mais elle savait bien que cela était impossible. Dans peut-être quelques minutes, ou encore quelques heures, ils devraient partir chacun de leur côté. Elle releva la tête et miaula affectueusement :

- Oui, c'est vrai... elle marqua une pause, hésita puis repris : En fait, j'aurais aimé resté ici encore quelques temps. Je pourrai sûrement y revenir demain matin.

Quand Belle Écume expliqua qu'elle désirait rester plus longtemps, Plume Rousse se mit à réfléchir. Était-ce bien prudent de ne rentrer au camp qu'au matin ? Il ne pensait pas. Cela pourrait leur attirer des ennuis si jamais les membres de leur Clan respectif se mettaient à trouver leur absence suspecte. Certains chats pourraient immédiatement s'inquiéter et se mettre à les chercher. Le matou au pelage roux savait pertinemment que Nuage Ambré serait la première à remarquer son absence. De plus, il avait maintenant son devoir de mentor qui le soumettait à plusieurs contraintes. Il s'était juré de faire de Nuage de Rêve une guerrière loyale et soucieuse des règles, comment pouvait-il montrer l'exemple si lui-même les enfreignait ? D'un autre côté, il ne pouvait pas laisser Belle Écume seule ici alors qu'elle venait à peine de mettre bas. Si jamais un renard passait par là, cela pouvait très mal se passer étant donné que la reine n'aurait pas possession de toute sa force pour pouvoir défendre ses petits. Il avait désormais un devoir de père à assumer.

- Très bien, je reste avec toi jusqu'à demain.

Il pressa sa fourrure contre celle de sa compagne, essayant tant bien que mal d'oublier ses questions. Il avait déjà trouvé une solution pour justifier sa présence aux côtés de Belle Écume si jamais un chat du Clan de la Rivière débarquait : il dirait simplement qu'il avait entendu des cris et qu'il avait vu la femelle mettre bas, et son instinct de guerrier lui avait ordonné de lui venir en aide, bien qu'elle ne fasse pas partie de son propre Clan. Ainsi, Plume Rousse ne mentirait qu'à moitié, c'était déjà ça.