« - Répète ça pour voir, gros sac ? »

Le tonnerre des monstres sur leur rivière de pierre noire emplissait mes grandes oreilles déchirées. Cela ne m'impressionait pas. Pas plus que le murmure incessant des voix de Bipèdes. J'étais habituée à toute ces choses de la ville.
La lumière lugubre émanant de ces étranges soleils perchés au sommet de bâtons teintaient ma fourrure rousse pâle de reflet douteux. Elle écrasait au sol mon ombre et celle de « gros sac ». L'atmosphère crasseuse de la ruelle au clair de lune, c'était mon quotidien, et jamais je n'avais songé à ce qu'il en fusse autrement.
Pour moi, petit chaton esseulé de quatre lunes, le monde se résumait aux ordures, à la puanteur des Bipèdes, au danger sournois de leur monstres métalliques, à la menace de leur chiens idiots, à la faim, au combat permanent pour une misérable pitance quotidienne... Ouais, cela faisait déjà pas mal, pour le si petit chaton que j'étais.

« - Je t'es dis de te barrer, p'tit rat. T'es sourde malgré tes oreilles de lapin miteux ? Allez, saoul pas et rentre chez ta mère. »

Cet énorme matou au pelage huileux et au cerveau aussi atrophié que celui d'un pigeon représentait, entre autre, ce que je devais combattre pour survivre dans ce monde et avoir le droit à ma part de nourriture. Il était peut-être aussi crétin qu'une volaille, mais niveau force, je savais que je ne faisais pas le poids. Mais je n'avais pas le luxe du choix, je devais me battre car ici, la seule loi était celle du plus fort.
Je sorti mes griffes, déjà très longues pour mon jeune âge, prête à tout pour ces restes de Bipèdes à l'odeur alléchante.

« - Ferme-là ! Tu crois pouvoir me donner des ordres ? J'ai pas peur de toi, pourriture, et puis d'abord, j'ai pas de mère ! »

Coup de griffe bien placé. Près de l'œil. J'avais manqué de peu de l'éborgner. Ici, dans les rues, la pitié n'existait pas. Mes oreilles en avaient fait l'expérience plusieurs fois...  Aucun chat n'hésitait à déchirer une oreille, taillader un museau, briser une queue, crever un œil, ou même ôter une vie. Après tout, moins on était nombreux, moins la concurrence dans la chasse à la nourriture était rude...
Le grand matou feula de colère et se lança sur moi, les crocs en avant. S'en suivit un combat acharné. J'avais, certes, l'avantage de l'agilité et de la vitesse, mais l'autre était plus fort et plus expérimenté. Il finit par avoir le dessus et me plaqua au sol.

« - J'ai dit : barre-toi, p'tit rat. »

Hors de moi, je me débattais comme une furie, en vain. Je sentais cruellement bien mon impuissance, épine planté dans ma fierté.
Étrangement clément, « gros sac » me relâcha et je pris la fuite, la rage au ventre. Cela faisait plusieurs jour que je n'avais rien mangé et, aussi furieuse que je fus, la colère ne me remplissait pas l'estomac comme je l'aurais voulu...
Déterminée à trouver de quoi manger, je me mis en route. Il fallait que je trouve de nouveaux terrains de chasse. Dans cette ville immense, il devait bien y avoir au moins un endroit ou je pourrais trouver de quoi calmer ma faim. Avec cette seule idée comme espoir, je marchais. Je marchais droit devant moi, machinalement. Je marchais, seulement à moitié consciente de ma route. Je marchais, jusqu'à ce que mes forces ne fussent plus suffisante. Alors, je m'écroulai, et sombrai dans l'inconscience.

Ce que j'ignorais, c'était que mon désespoir m'avais mené plus loin que je n'étais jamais allé. J'ignorais que mes frêles pattes m'avaient fait quitter la ville des Bipède, pour la nature sauvage. Epuisée, j'étais tombée inconsciente, en plein territoire du Clan du Vent. C'est un guerrier qui m'a retrouvée et m'as sauvé en m'accueillant dans son clan.